Belleville-Chasse aux pauvres: Jeudi 20 octobre 2011

Battue républicaine et hygiène sécuritaire.

 

19h15 – La nuit est déjà presque tombée. Sous les lampadaires du boulevard de Belleville, sur le terre-plein central, le marché n’est pas très actif. Les vendeurs sont éparpillés. Ces derniers temps, les biffins ont du mal à se réapproprier l’espace régulièrement nettoyé par les flics et les agents de la mairie. Ce soir ne fait pas exception. Il faut dire que la stratégie de harcèlement n’est pas la même qu’à Barbès : ici la colonisation policière a déjà atteint un stade avancé, le contrôle est quasiment permanent. Belleville est depuis longtemps sous occupation. Des équipes de flics en uniforme font des allers-retours incessants, ne laissant que peu de possibilités aux vendeurs pour reposer leurs affaires sur le trottoir.

Les énervés de la BST passent moins souvent, à croire que la hiérarchie leur a ordonné de lâcher du lest, de la jouer molo. On n’entend plus aussi fréquemment les coups de matraques effrénés du major Toineau contre les poteaux métalliques, annonçant l’arrivée imminente de sa meute policière qu’il mène à la chasse aux pauvres. Pourtant la traque n’est pas finie pour autant et l’étau s’est même resserré. Au lieu de débarquer à l’improviste et de façon violente, les flics sont omniprésents, ils ne quittent plus le boulevard.

19h25 – Deux équipes de flics, sept au total, remontent le boulevard à pas lents. On dirait une battue. Puis ils se séparent : quatre agents de la BSQ DSPAP 11 /85 (1) d’un côté, trois agents d’une quelconque Unité de Sécurisation de Proximité de l’autre (2). Ces derniers, en s’approchant du métro Ménilmontant, font fuir les biffins, roulant des mécaniques et empêchant les moins vifs de récupérer leurs affaires. Un grand flic agrippe un drap qu’une femme rrom essaye de replier. Elle ne se laisse pas impressionner, plaisante même en désignant ses affaires : « C’est beaucoup d’argent ». Lui, ironique, lui répond : « Pour gagner de l’argent ’faut travailler » puis « Allez, poubelle ! ». Elle tient bon, alors il lance « Y’a de la place aussi pour vous, vous voulez venir à la benne avec moi ? ». Elle finit par lâcher, résignée.

19h30 – Finalement, les trois flics restent seuls à veiller sur un tas de ballots remplis de vêtements, de bouffe et d’électronique. Un camion-poubelle ne tarde pas à arriver (Derichebourg environnement, camion n°3308 immatriculé AK-908-CG 92), suivi d’un utilitaire de la mairie de Paris (immatriculé 208 QFW 75). Les trois flics saisissent les ballots, aidés par les agents de la mairie, puis les balancent dans le camion-poubelle. On remerciera la mairie de Paris de collaborer avec la police dans ses opérations de nettoyage.

Les trois chasseurs rejoignent leurs collègues, avant de remonter ensemble le boulevard jusqu’au métro Belleville. Sur leur parcours, ils parviennent à contrôler et fouiller quatre personnes (tous étrangers bien sûr) : sur cinq-cent mètres, ça fait une bonne moyenne ! Puis, relax, ils s’arrêtent et bavardent un peu, avant de retourner vers leurs comico respectifs, probablement satisfaits d’avoir contribué au rétablissement de l’ordre républicain.

La chasse aux pauvres prend à Belleville une forme insidieuse, voire silencieuse. Sans trop de remous, la police impose au quartier sa présence et son contrôle permanents. A quelques pas de là, des masses de bobos s’entassent dans les cafés branchouilles, bien loin de cette réalité sociale violente qui ne les concerne pas, mais dont ils sont directement responsables. La flicaille et son contrôle sont un passage obligé vers le règne total et égoïste de la petite bobosphère altercapitaliste.

Barbès n’en est pas encore là, mais avec le plan de réhabilitation du quartier de la goutte d’or (présenté par les édiles et les urbanistes comme le « dernier quartier insalubre de la capitale »), cela ne saurait tarder. Ils (pas nous, les autres, les pas-gentils) adorent tellement les villes insipides, en verre et sans espaces verts, parsemées de mobiliers urbains métalliques (anti pauvres eux aussi), où chaque corniche abrite sa caméra et ses piques anti pigeons (aussi sales que les pauvres) et où les néons concurrencent les placards publicitaires pour transformer les rues en couloirs d’hôpitaux. Dans leurs villes rêvées, véritables paradis infernaux, des contingents entiers de flics (en pyjama bleu ou en tenue bourgeoise, à pieds, à vélo ou en segway) côtoient des myriades d’agents de sécurité (pauvres et soumis de préférence) et autres citoyens volontaires (pas nous, les autres, les méchants), pour s’assurer que tout est bien en ordre et que chacun rentre bien dans le rang (et vote). Enfin, dans leurs villes, les rues portent des noms comme « avenue Bouygues », « boulevard Vinci », « place Takieddine »...

Mais cessons ici cette prose fataliste. Préparons nos frondes, car l’occupation a repris.

Des veilleurs des marchés libres