Chasse aux pauvres-Barbes: Mercredi 16 novembre

Pas de trêve hivernale pour les braconniers

 

 

          Les bonnets et les écharpes sont devenues indispensables. Le froid est coriace, mais le marché des biffins ne désemplit pas : la misère ne s’embarrasse pas de considérations météorologiques. Ce qui a changé, c’est peut-être que le marché est moins matinal : avant 10 heures, il y a peu de vendeurs. Ça tombe bien, les feignasses gauchistes que nous sommes peuvent dormir un peu plus longtemps avant de se geler les narines dans la rue.

Mais qu’en est-il du côté des poulets ? Leur ardeur est-elle calmée par le froid ? Que nenni : la chasse aux pauvres ça réchauffe !

10h10 – Premier dégoulinement de flics de la matinée. Trois civils prennent au dépourvu deux vendeurs de menthe et saisissent leurs cagettes avant d’en faire un tas près du feu tricolore. Ils restent ensuite autour de leur butin comme s’il s’agissait de protéger le produit d’un dangereux trafic. Le marché s’est bien sûr dispersé dans la minute même où le premier flic a posé sa main sur l’épaule du vendeur. Pendant qu’ils campent autour du tas de verdure, au moins trois personnes s’approchent pour, naïvement, ramasser une botte de menthe, n’ayant pas compris qu’il s’agissait de flics. Ils sont aussitôt rabroués. Dix minutes plus tard, le fourgon ramasse-tout du commissariat Clignancourt (immatriculé 831 NWR 75, désolé si on se répète) vient délivrer les trois flics de leur précieuse prise. Ils repartent, disparaissant bientôt dans le « marché officiel ».

10h35 – Les revoilà. Le marché se disperse aussitôt. D’abord les trois de tout à l’heure, puis deux autres. Ils campent ensuite tous ensemble près de la borne navigo, où ils discutent pendant dix minutes, se permettant de temps à autre de lorgner dans le sac plastique des passant.e.s, voire à leur demander de montrer leur contenu. Ils glandent, jeunes désœuvrés tenant les murs du métro en se racontant les aventures du jour...

Entretemps, le marché qui longeait les grilles du métro s’est déplacé plus loin d’eux, mais a repris. Derrière le mur, les biffins n’ont pas vu qu’ils sont toujours là.

10h48 – Les cinq coquillages sont pris soudainement par une vague, se décrochent de la paroi du métro et s’élancent en direction des vendeurs. Ça y est, c’est l’assaut. De cinq, les flics passent à neuf !! On s’attend à une grosse opération, les vendeurs quittent le trottoir et s’enfuient vers la rue des Islettes. Mais les flics, sans doute un peu frigorifiés, se contentent d’attraper deux caddies et cinq ou six gros sacs plastiques. Mine de rien, c’est une grosse prise, car les sacs sont pleins. Contents, ils construisent un monticule avec les affaires et reprennent leur position habituelle, plantés tout autour du tas. Puis ils s’installent sur place. De coquillages, ils deviennent plancton : sautant d’un pied sur l’autre, engoncés dans leur écharpes et le bonnet abaissé sur les sourcils, ils flottent sur place, discutent, rigolent et ne semblent pas vouloir partir.

Neuf flics, huit visages, cherchez l’erreur. Dans le groupe, l’un d’eux se camoufle intégralement sous sa capuche noire et derrière son écharpe. Il est méconnaissable. Si vous lui demandez, il vous dira sans doute que c’est à cause du froid. Nous, on a une autre explication.

D’ailleurs, parlons un peu de fringues, ça nous changera. Vous l’aurez compris, pour les flics de Barbès (et pas seulement ceux-là) la mode est au voile intégral. Pourtant, qui n’a pas vu cette horrible affiche collée dans certaines administrations : « La république se vit à visage découvert » assortie d’une adresse internet : visage-decouvert.gouv.fr (sic) ? [1]

Pour dire vrai, les flics ont cessé de choyer leur vieille république et jouent désormais sur le terrain sauvage de la contre-insurrection et du nettoyage socio-ethnique, batailles qui se passent des bons principes et carcans républicains. Ils ont intégré les bonnes vieilles méthodes de la bataille d’Alger pour combattre l’ennemi intérieur. La flicaille a bien compris l’adage maoïste et s’efforce de s’immerger parmi la population pour mieux piéger le poisson. Quadrillage, dissimulation, intimidation, violence arbitraire sont les outils de leur traque. A Barbès il y a quelques mois, ils tiraient bien volontiers sur les bras et les cheveux, faisaient tournoyer la matraque, mais il semblerait que quelque chose a changé un peu cet état de fait : désormais ils se la jouent détendus et discrets.

Le matin, avant de partir à la chasse, les flics se choisissent dans le placard du commissariat les vêtements qui les feront le plus ressembler au commun des mortels. Certains portent leurs propres fringues, mais pas tous. C’est comme ça qu’on a vu certains habits passer d’un flic à l’autre. Quand ils débarquent en équipe dans les rues du quartier, ils laissent leurs brassards oranges au fond du sac et remontent leurs cache-nez. Ils ne sont pas complexés pour autant, n’exagérons rien. Ils continuent de se marrer en faisant leur sale boulot et feignent, quand quelqu’un proteste, de dire (à condition qu’il prenne le temps de répondre) très sérieusement qu’ils œuvrent au nom du bien commun. Tout à coup, ils ressortent les justifications républicaines qu’on leur a apprises à l’ENP, comme s’ils y croyaient. Mais personne n’est dupe, sauf peut-être les collabo d’Action Barbès [2]

11h50 – Fausse alerte. Le marché a pris peur, mais aucun flic n’est là. A leur place, des militants de l’Association des Projets de Bienfaisance Islamiques en France ont investi les lieux pour vendre des calendriers 2012. Plus loin, une femme seule distribue des tracts pour inciter les gens à faire du tourisme en Tunisie et à faire confiance aux élites tunisiennes pour remettre sur pieds une démocratie « à l’occidentale », sans se laisser abuser par les discours alarmistes de la presse qui voudraient faire croire à une prise de pouvoir des islamistes (avec d’autres mots, c’est la substance du tract). Barbès, c’est aussi le lieu du prosélytisme et de la propagande politique. Il y a de tout ici.

Il est temps de quitter la place...jusqu’à la prochaine fois.

Des veilleurs des marchés libres.

1. Attention, ça fait mal : ICI

2. Voir plutôt l’infame chronique publiée sur leur site : [actionbarbes.blogspirit.com/archive/2011/08/22/chronique-de-barbes-fin-d-ete.html]