Chasse aux pauvres-Barbès: Samedi 17 décembre 2011
Bilan et invectives à l'approche de la fin de l'année
Ces dernières semaines, nous avons passé pas mal de temps à réorganiser notre réseau et nos données, à se former et s’informer, auprès d’autres collectifs d’ici ou d’ailleurs. Nous voulons exprimer notre satisfaction, car nous avons senti que les choses bougent, que les milieux activistes reprennent espoir et sortent doucement d’une plus ou moins longue période de doutes et de remises en question. Donc non seulement rien n’est fini, mais tout est encore à venir.
Après presque quatre mois d’observation sur le marché de Barbès, nous pouvons faire un bilan à la fois de notre mode d’action et des pratiques policières. Nous avons en effet été présent auprès des biffins de Barbès près de vingt matinées depuis le mois d’août, en équipes de deux ou trois, voire de quatre personnes. Dans un premier temps expérimentale, notre activité d’observation a été modifiée au fur et à mesure pour s’éviter au maximum d’être interpellés. Nous avons donc réussi à ce que seule une personne de notre groupe soit réellement identifiée (et contrôlée à plusieurs reprises), focalisant l’attention des flics tandis que le reste de l’équipe enregistrait leurs comportements sans être localisés. Nous pouvons prétendre que cela a fonctionné, dans la mesure où nous n’avons subi aucun autre contrôle d’identité.
Au cours des semaines, nous avons pu nous fondre dans le marché et gagner la confiance des vendeur.euse.s afin d’être identifiés par ell.eux comme des allié.e.s et ami.e.s. Nous avons tissé des liens, discuté beaucoup, créé des complicités, ce qui nous a permis également d’en apprendre beaucoup et d’envisager des collaborations sur le long terme et dans d’autres lieux de la capitale.
Lorsque nous avons commencé à venir sur Barbès en août et septembre, les violences policières étaient régulières, décomplexées, voire systématiquement provoquées par le comportement agressif des flics envers les vendeur.euse.s. L’arbitraire policier était incontestable et nous avons assisté à plusieurs altercations, parfois violentes, entre flics et vendeur.euse.s. Dans la matinée du 10 septembre, l’attitude particulièrement agressive (familiarité, vol, coups) d’un flic en civil a ainsi entraîné une situation d’extrême tension à l’issue de laquelle la police a dû s’extraire sous les jets de projectiles de la foule (lire chronique copwatch du 10 septembre : vol à la tire contre vol à la sauvette).
Au cours du mois de septembre et avec le foin médiatique produit autour de l’émergence de la plate-forme Copwatch Nord-IDF, l’attitude des flics s’est légèrement modifiée. Même s’il reste difficile de connaître leur état d’esprit, nous avons pu constater une hausse de la méfiance de leur part, qui s’est traduite par davantage de paranoïa et par la surveillance des personnes non vendeuses. Au total mépris de leurs lois, les flics ont réagi de manière prévisible, adolescente, en brandissant à toute occasion leurs téléphones personnels pour prendre en photo tout le monde et n’importe qui, ne sachant pas véritablement qui cibler. Le mercredi 5 octobre, leur chef d’équipe a lui-même sorti son portable pour photographier à la foi le marché, ses vendeur.euse.s et la personne déjà identifiée de notre groupe (lire chronique copwatch du 5 octobre : les sangliers remportent la première manche).
Au cours des mois d’octobre et novembre, les violences ont baissé en intensité, mais les interventions policières se sont poursuivies avec toujours autant d’arbitraire et de régularité, à raison de deux à quatre interventions dans la matinée : le plus souvent entre 10h15 et 10h30, entre 10h40 et 10h50 et entre 11h40 et 12h00.
Chaque raid policier sur le marché fait intervenir cinq policier.e.s en civil, accompagné.e.s de cinq policier.e.s en uniforme (dont généralement deux de l’unité cynophile), d’un ou deux véhicules de police et d’un fourgon Peugeot boxer blanc banalisé chargé d’emporter les affaires saisies. Il n’est pas rare qu’avant 10h00 intervienne une équipe de trois flics de proximité en uniforme, qui chassent les premier.e.s vendeur.euse.s mais ne saisissent rien. De la même manière, il est arrivé que deux agents de la voirie en civil s’ajoutent aux autres pour « libérer » la voie publique et les passages pour piétons.
C’est donc un véritable maillage policier du quartier qui se met en place et vise uniquement à exercer une pression sur les vendeur.euse.s à la sauvette, dans le but de les maintenir dans une angoisse permanente et de les harceler pour qu’ils renoncent à se sentir en sécurité. C’est exactement la même logique qui guide la police à Calais : harceler sans cesse les personnes dans l’illégalité afin qu’elles ne puissent jamais s’organiser sur le long-terme. Cette stratégie de terreur et de domination ne vise pas à mettre un terme à une situation de fait, mais seulement à la garder sous contrôle et empêcher qu’elle gagne en proportion. De fait, le marché libre ne s’étend pas, regroupant au maximum 500 personnes.
La police a pour vocation de mener une guerre permanente aux foyers potentiels d’insurrection et de « non droit » (notion qui désigne facilement toute forme d’organisation ou de vie placée hors du contrôle policier de l’Etat) en menant des attaques ciblées et répétées contre des espaces situés hors de leur pouvoir (marchés libres, squats, banlieues, réseaux internet libres...). Cette stratégie d’étouffement est directement héritée des techniques militaires développées en Algérie pour garder les colonisé.e.s sous la tutelle des colonisateurs. Le territoire urbain est divisé en quartiers et en îlots, afin d’exercer une mise sous surveillance permanente de petites zones d’intervention plus facilement contrôlables (maillage). Il est significatif que les interventions sur le marché libre soient lancées de commissariats situés à forte proximité et par des flics en civils qui connaissent parfaitement le quartier, dissimulés et difficilement repérables au premier coup d’œil. On peut affirmer, sans faire preuve de conspirationnisme, qu’il s’agit de méthodes directement inspirées de régimes totalitaires : agir souvent au même endroit, rapidement, arbitrairement et de manière dissimulée, pour empêcher tout contrôle de la population sur les agissements de la police.
L’Etat met en avant la lutte contre le trafic pour justifier une mise sous contrôle du territoire, comme il met en avant la lutte pour la démocratie et la liberté lorsqu’il intervient en Afghanistan ou en Libye pour le contrôle des ressources. En réalité, sa présence ne vise pas à établir un « état de droit » comme il le prétend, mais à imposer sa domination et son monopole sur la vie sociale et économique. L’état veut tout gérer.
A Barbès comme ailleurs, la police ne sert à rien, elle est juste là pour rappeler qui est le patron. Et le jour où l’État et sa police auront éliminé les marchés libres par la force, alors nous pourrons considérer que nous sommes en dictature. Mais pour l’instant, l’État ne gère pas tout. Œuvrons pour qu’il ne gère plus rien...
En janvier, si on parvient à faire les montages d’ici-là, on balance les vidéo.