Chasse aux pauvres-Barbès: Mercredi 9 Novembre 2011
Pas vu, Pas pris
10h00 – Quand on se couche tard, c’est difficile d’être toujours à l’heure pour l’ouverture du marché libre. Les biffins, c’est un peu cette « France qui se lève tôt » dont parlait le sinistre président, pauvres et étranger.e.s contraint.e.s d’être sur le pied de guerre dés le petit matin pour assurer leur subsistance. Des copains vendeurs nous disaient que la nuit, dans leurs squats, il est très difficile de trouver le sommeil : la promiscuité, le bruit des autres, l’atmosphère irrespirable, sans compter l’insomnie...
Les flics, obnubilés par leur petite guerre républicaine, oublient d’ailleurs bien souvent qu’ils/elles ont face à elleux des gens qui ont vécu la vraie guerre et ses horreurs. Ils/elles oublient que ces femmes et hommes sont juste venu.e.s chercher la paix que l’occident leur refuse obstinément chez elleux.
On est là, on attend. Rien ne se passe. Un copain tchétchène nous a averti par téléphone vers 9h30 que les flics n’étaient pas encore passés. Sur place, un copain marocain confirme. Vers 10h30, trois flics en civil bourrus passent et valdinguent les étalages de menthe, gratuitement, avant de poursuivre leur chemin.
11h24 – Leurs collègues débarquent. On ne pouvait pas espérer qu’ils restent toute la matinée dans leur volière sans venir harceler le marché libre. La voiture banalisée de l’unité cynophile vient stationner à l’embranchement de la rue des Islettes et du boulevard de la Chapelle, bientôt rejoint par trois autres flics en uniforme. Pendant ce temps, trois flics en civil se tiennent près du feu tricolore un peu plus bas, sans doute persuadés d’être là incognito. Au final, ce ne sont pas trois, mais quatre flics en civil qui font le pied de grue près du marché (légal celui-ci) : deux flics près du feu, deux fliques sous l’étalage du vendeur de chemises (deux mecs, deux filles, parité oblige). Le fourgon peugeot boxer blanc (immatriculé 831 NWR 75) destiné à récupérer les affaires volées aux vendeurs est arrivé aussi.
Entre temps, les biffins se sont tous réfugiés sur le trottoir d’en face et personne ne vend plus. Les flics ont beau faire tous les efforts possibles, ils sont vraiment mauvais en dissimulation. Celleux en uniforme de la « sécurité de proximité » (il faut l’écrire pour le croire) ont déjà pris quelques ballots aux vendeur.euse.s, mais quelque chose semble les gêner : notre présence. Pas la notre, mais particulièrement celle du copain qu’ils ont dans le collimateur depuis plusieurs semaines (notons que nous ne nous connaissons pas lorsque nous observons le marché). Il n’en faut pas plus pour focaliser leur attention. Vous le croirez ou pas, à partir de ce moment là les flics commencent à jouer les agent.e.s du KGB : posté.e.s à trois endroits différents, quasi immobiles, ils/elles fixent des yeux le copain. L’un d’elleux, coincé entre un poteau et le plan du métro, prend une photo du copain avec son portable. Pour en faire quoi, pas la moindre idée. En tout cas ça doit leur procurer un sentiment de bien-être intérieur de jouer l’intimidation.
Contrairement à d’habitude, ils/elles restent vingt minutes sur place, tournent, suivent des yeux le copains, avant de le perdre de vue. Puis, l’instinct grégaire oblige, ils/elles se regroupent tou.te.s auprès de la voiture de l’unité cynophile et scrutent le boulevard. On les remerciera par ailleurs pour cette magnifique photo de groupe.
Finalement, ils/elles s’en vont.
Le fait que certain.e.s d’entre nous aient été repéré.e.s et qu’on persévère malgré tout dans notre démarche peut paraître insensé pour qui tente quotidiennement d’esquiver les contrôles et le fichage policiers. Pourtant, nous trouvons dans notre obstination des motivations, persuadé.e.s qu’occuper le terrain malgré les risques (les flics ne sont pas des brebis innocentes) permet d’inscrire notre présence dans le paysage social de nos villes et d’habituer les flics à ne pas se sentir en terrain conquis.
Au contact des biffins, nous apprenons à découvrir des histoires vécues douloureuses, des destinées remplies de combats pour la survie, des forces de vie qui méritent qu’on s’y attache et qu’on s’y solidarise. Entre les descentes de police, qui sont tout autant de rappels de la barbarie ordinaire, on prend le temps de se parler, de se connaître, d’échanger sur nos expériences vécues. Marocains, tchétchènes, géorgiens, rroms, afghans, algériens, yézides : le marché libre de Barbès est un foyer de personnes vivantes et combattives.
Le totalitarisme, qui s’abrite derrière sa foutue république démocratique, ne réussira jamais à étouffer notre désir de vivre, tandis que les flics, pauvres petit.e.s exécutant.e.s, sont condamné.e.s à jouer aux cowboys et aux indiens dans un monde bien trop complexe pour eux.
Des veilleur.euse.s des marchés libres.