CHASSE AUX PAUVRES-BARBES: Samedi 15 Octobre 2011

La police politique traque les témoins

 

10h40 Une première équipe de trois flics en uniforme débarque à pieds et s’en prend immédiatement aux vendeurs de menthe qui sont les plus exposés le long du trottoir, avant d’aller et venir dans le marché en bousculant ceux des vendeurs qui n’ont pas réagi assez vite. Pas d’arrestation, ni de saisie : ils n’ont pas de véhicule avec eux. Ils s’appliquent à faire un tas avec les cagettes et les cartons renversés par eux la minute d’avant, puis partent en direction de la sortie du métro : « Venez, on va toper les vendeurs de clopes ».

11h18 – Trois voitures de police s’arrêtent au carrefour du boulevard de la Chapelle et de la rue Guy Patin. Au moins l’une d’elle appartient à l’unité cynophile. Un chien est sorti, sans doute pour dissuader les récalcitrants. Les autres flics, majoritairement en uniforme, mais accompagnés de trois flics en civil, se lancent à la chasse aux biffins. Le marché est déjà dispersé depuis le passage de leurs collègues la demie heure d’avant. Il s’est réinstallé timidement le long du métro, mais les vendeurs se sont très vite aperçu que les flics étaient de retour.

Une copine est là, elle prend des photos et filme avec un appareil qu’elle porte en bandoulière. Mais elle est très vite repérée et la réaction ne se fait pas attendre. Aussitôt, quatre flics en uniforme lui tombent dessus et la contrôlent. Intimidation. Ils l’encerclent, la questionnent, cherchent à la déstabiliser : « Allez photographiez les délinquants à la goutte d’or », « Quand on vous volera votre portable, vous viendrez nous voir », puis un de flics lui lance avant de partir : « Vous allez voir, vous allez avoir affaire à moi ! »

A peine se sont-ils détournés qu’ils s’en prennent au copain qu’ils soupçonnent de filmer en caméra cachée. Là encore, ce sont immédiatement cinq flics qui l’encerclent :

Un flic - « Donnez-moi votre clé USB ! Elle est où votre clé USB ?

Le copain - De quoi vous parlez ?

Un flic - Si, si, vous avez une clé USB, je l’ai bien vu arrêtez.

Un flic - Allez monsieur, allez...

Le copain - Mais qu’est-ce que vous racontez, arrêtez un peu !

Un flic - Il va me saouler lui !

Un flic - On va vous fouiller.

Un flic - On va prendre son blaze aussi. Espérons que vous avez une pièce d’identité, vous allez perdre du temps sinon.

[le copain sort son permis de conduire]

Un flic - Qu’est-ce que vous avez dans votre sacoche ? Sortez-moi ce que vous avez dans la sacoche !

Le copain - J’ai une caméra dans la sacoche [il sort un camescope et le tend au flic]

Un flic - Et la clé USB elle est où, celle que vous aviez dans la poche ?

Le copain - J’ai pas de clé USB dans ma poche !

Un flic - Eh monsieur, m’obligez pas à vous faire une palpation, sortez-là, sinon je la retrouve.

Le copain - Oui, voilà.

[Il la montre au flic]

Un flic - Remettez-la moi

Le copain - Mais non, j’ai pas à vous la donner !

Un flic - Tu la donne sinon on t’embarque !

[un flic en civil commence à lui faire une clé de bras]

La copine - Mais ça va pas où quoi ! Vous n’avez pas le droit de faire ça !

Le copain - Vous la regardez, mais vous n’avez pas à la prendre !

[le flic prend la clé]

La copine - Vous savez très bien que vous ne pouvez pas faire ça.

Le copain – Vous n’avez pas à la prendre !

[ils se calment]

Le copain – voilà...

Un flic - Vous n’avez pas à nous filmer.

Le copain - Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui dit ça ?

Un flic - Vous n’avez rien d’autre à faire sérieux ? Vous voulez filmer les agresseurs ?

Le copain - Mais la question n’est pas là !

Un flic - Mais si la question elle est là.

Un flic - Ouais allez c’est bon, prend son identité et on s’tire. La copine – ça, vous n’êtes pas autorisé à la garder [en désignant la clé]

Un flic - Vous inquiétez pas, je vais vous la rendre.

Le copain - Ben j’espère bien, parce que vous n’avez pas le droit de la prendre, monsieur.

Un flic - Si je veux la prendre, je la prend, c’est tout.

Le copain – Non, non

La copine - Y’a pas de « c’est tout ».

Le copain - Vous prenez mon identité, y’a pas soucis, mais vous ne prenez pas mes affaires.

Un flic - Sinon malheureusement elle peut tomber par terre et je marche dessus.

Le copain - Pourquoi vous voulez faire ça ?

Un flic - Ça arrive...

[il rend la clé]

Un flic - Pourquoi ? Parce qu’on en a marre de trouver nos tronches sur internet, tout simplement !

Le copain - Mais ça n’a rien à voir avec moi ça !

Un flic - C’est vous qui le dites.

Un flic - Bon allez c’est bon, t’as pris l’identité de monsieur.

Un flic - Si on croyait tout le monde sur parole, y’aurait pas de flic en civil sur internet.

Un flic - A 23 ans, vous n’avez rien d’autre à faire franchement, de votre vie, que de faire ça ?

[ils rendent le permis de conduire]

Un flic - C’est pas des choses intelligentes de faire ça. Vous faites pas avancer les choses.

Le copain - Écoutez, vous n’avez pas à préjuger de ce qui est intelligent ou pas.

Un flic - Eh la ramène pas, parce que ça, ça s’appelle une trique et moi je suis pas très intelligent, tu vas la prendre derrière la tête. Alors la ramène pas, d’accord ?

Le copain - D’accord, je vois ce que c’est ouais.

Un flic - Si t’as rien à faire, tu vas filmer Barbès et la Goutte d’or. Tu vas faire ça et tu vas voir...

Un flic - On va voir qui va nous appeler pour te rendre service.

Un flic - Voilà hein.

Un flic - Branleur va !

[ils s’en vont]

Le copain - Ouais ouais, bon allez, bonne journée !

Après quoi, ils ont quitté les lieux, à bord de leurs trois voitures. Nous aussi, car nous avions rendez-vous ailleurs. La transcription de ce dialogue absurde (qui a été filmé) à valeur pour nous de témoignage, pour mettre en mots la manière dont la police appréhende les gens, les passants, le quidam, la personne ordinaire qui ne laisse en rien préjuger, par son apparence, de ses activités. Nous aurions pu n’être que des touristes ou des curieux. Notre présence et nos appareils ont fait de nous leur ennemis, les victimes momentanées de leur paranoïa.

Et ce n’est pas tout, car la conversation aurait pu être tout autre. Ils auraient pu demander simplement ce qu’on faisait là, sans agressivité et sans intimidation. Mais il est devenu pratique courante pour eux d’avoir recours à des contrôles systématiques, d’agir en bande, d’encercler et de proférer des menaces. Il semblerait que le flic peut se permettre de dire ce qu’il veut, qu’il est libre de frapper avec sa matraque (sa « trique »), de détruire ce qui ne lui appartient pas (notre caméra), de qualifier qui bon lui semble de « branleur »...

Mais l’objectif n’est pas de nous plaindre ou de geindre que la police devrait être plus gentille. Il s’agit plutôt, à l’heure où le ministère de la Défense veut réhabiliter les bidasses auprès des enfants dans les établissements scolaires [1], de rappeler que la flicaille a pour vocation d’être une milice, payée et entraînée pour protéger l’État et ses institutions. Et la population n’est pas dupe. Toutes les tentatives pour mettre en place des flics de « proximité » ont échoué, tant cette proximité se traduit par une répression accrue envers les pauvres : voyez plutôt comment la BST de Belleville envisage la « proximité » avec les habitants du quartier, c’est éloquent !

Notre expérience du terrain, à travers une présence régulière sur certains lieux symptomatiques, vise non seulement à mettre en exergue la violence des rapports entre la police et les pauvres, mais aussi à intervenir auprès des habitants et des biffins pour les préserver au plus possible de cette violence. Notre action ne se traduit pas uniquement par la prise d’images, mais également par la mise en place d’un système de veille, afin d’être là quand les flics déboulent, pour prévenir les gens de leur arrivée et s’assurer que leur violence ne restera pas sans témoins. Plus on sera nombreux à le faire, moins la rue leur appartiendra.

Par le passé, on feignait de penser que les ripoux étaient une minorité dans les rangs de la police. Aujourd’hui, nous nous appliquons à démontrer qu’ils sont bien plus nombreux...

Ne les laissons plus faire !